Russie-Iran, un nouveau tournant?
Premier président à avoir félicité son homologue iranien fraîchement élu à une écrasante majorité des voix au terme d'un scrutin historique qui a duré 18 heures d'affilée, le président russe, Vladimir Poutine, continue à multiplier des signaux en direction de l'Iran.
Lors de son point de presse tenu ce lundi à Téhéran, le président Raïssi a été implicitement bien clair quand le journaliste de Ruptly lui a posé cette question : " Iriez-vous avoir un tête-à-tête avec le président américain, si l'occasion s'en présente? Et le nouveau président iranien de répondre sèchement : "Non".
La Russie de Poutine qui vient d'être ciblée par de nouvelles sanctions US visant le projet ultra stratégique de "Nord Stream II", et ce, à peine quelques jours après le sommet de Genève que le monde entier a donné pour être un début de dégel des liens Russie/USA a-t-elle désormais besoin de l'Iran "entièrement acquis à la cause de l'Est" dans sa bataille contre l'Empire finissant? Visiblement. D'ores et déjà, Moscou, qui a tiré bien des bénéfices de très dures sanctions imposées au secteur énergétique iranien, prépare le marché au retour de l'Iran. Il est simpliste de n'y voir l'écho de très grandes victoires militaires de l'axe de la Résistance, remportées à l'heure même que le monde entier s'était militairement et économiquement ligué derrière les USA pour faire fléchir l'Iran. Aux dernières nouvelles, le président chinois Xi vient aussi de rallier le concert de félicitations qui fuse depuis 48 heures de partout dans le monde à l'adresse d'un président iranien, prêt à miser sur une alliance de longue durée avec l'axe sino-russe.
Ce dimanche, peu avant le point de presse de Raïssi, le directeur du deuxième département d'Asie du ministère russe des Affaires étrangères a salué le résultat du scrutin présidentiel en Iran et a insisté sur la poursuite d'une coopération étroite entre la Russie et le nouveau gouvernement iranien. Dans une interview accordée à l'agence de presse RIA Novosti ce lundi, le directeur de la deuxième division asiatique du ministère russe des Affaires étrangères, Zamir Kabulov, a déclaré que Moscou jugeait positif le résultat de la présidentielle iranienne et cherchait à poursuivre une coopération étroite avec le nouveau président iranien.
Vendredi, le treizième scrutin présidentiel a eu lieu avec une participation enthousiaste du peuple à travers le pays ainsi que dans 133 pays étrangers. L'Ayatollah Seyyed Ebrahim Raïssi a été élu huitième président du pays en obtenant plus de 17 millions de voix sur les 28 600 000 bulletins dépouillés.
Depuis l'annonce des résultats de la présidentielle iranienne, des dizaines de dirigeants et personnalités étrangères ont envoyé des messages de félicitations au président élu. Mais le message russe a été le premier à avoir été envoyé en Iran avant même la fin du dépouillement des votes. Une "alliance" Iran-Russie, loin des interférences US/Occident est-elle désormais envisageable? Une chose est sûre : les deux parties sont désormais mieux disposées. Depuis la missive que le Leader de la Révolution islamique a dressée au président russe le 7 février, missive qui évoquait un monde "Post-Empire US" et auquel a répondu Poutine peu après, les choses n'ont cessé de s'accélérer. La missive soulignait "le fait que dans la diplomatie, l’Iran n'a jamais cessé de préserver l'équilibre, en suivant la politique « ni l'Est ni l'Ouest » et ceci, pour préserver son indépendance, sa souveraineté et son intégrité territoriale. Or le 21 ème siècle est un siècle nouveau et la politique étrangère des pays doit être redéfinie suivant les évolutions en cours. "Le 21e siècle est sans aucun doute le siècle de l’Asie. et l'Est a toujours été au centre de l'attention de la République islamique, et nous devons accorder une attention particulière à notre continent et au maintien de relations équilibrées avec les autres pays du monde", disait la lettre.
"En Asie et dans des pays comme la Russie, la Chine, l'Inde, le Pakistan, la Malaisie, l'Indonésie et le sous-continent, il existe un important potentiel méconnu dont nous pouvons jouir étant donné nos affinités. En politique étrangère, afin de protéger les intérêts nationaux de l'Iran, nous devons préférer l'Est à l'Ouest et nos voisins aux pays lointains. Il est évident que les relations avec les pays avec qui nous avons des intérêts communs sont prioritaires."
Pour le reste la lettre du Leader a été envoyée dans un contexte particulier où les USA tentent de refaire le coup de 2015. "L'Iran ne sera plus affecté par les jeux de la nouvelle administration américaine ou des trois pays européens impliqués dans l’accord nucléaire (France, Grande-Bretagne, Allemagne) et aucune décision de la Maison Blanche ne changera les positions de la République islamique d’Iran envers le renforcement de ses relations stratégiques avec Moscou et Pékin, et l'Asie en tant qu'acteur important de ce siècle. Le temps où l'Amérique et l'Europe étaient faiseurs des jeux est révolu. Les développements à la Maison Blanche ne peuvent pas influencer les rapports de l'Iran avec ses alliés régionaux. On traverse une période sensible et le leader de la Révolution islamique a ressenti le besoin d'envoyer un message au président russe. »
Moscou semblait attendre un signe concret et un président comme Raïssi élu par un peuple en rupture totale avec le néolibéralisme en est un. Signe des temps, le ministre russe de l'Energie, Alexander Novak a déclaré ce lundi aux « Bien sûr, la question [du retour du pétrole iranien sur le marché mondial] devrait être prise en considération. Bien sûr aussi que cela affectera l'équilibre de l'offre et de la demande, mais il suffit de savoir exactement quel est le plan de retour, quels sont les volumes maximums. Mais tout dépend du moment où cela sera fait. »
L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a déclaré dans son rapport sur le marché pétrolier que l'Iran pourrait augmenter sa production de pétrole à 3,8 millions de barils par jour d'ici 2022 et devenir la principale source de croissance de la production mondiale de pétrole en cas de levée des sanctions. Cela inquiète Moscou? Visiblement non...