Oct 20, 2021 10:44 UTC

C’est l’an 1207 du calendrier grégorien. Balkh, au grand Khorasan, à l’est de l’Iran, se vante de compter, dans ses annales, toute une lignée de théosophes et d’oulémas érudits, qui se sont relayés, au fil du temps, pour passer, maintenant, le flambeau, au Sultan des savants, Baha al-Din Walad, le père de Molânâ Rûmî.

Le jeune Jalal al-Din accompagnait partout son père ; il grandissait dans cette ambiance imprégnée du spirituel et du savoir. Toute une foule d’oulémas, de séminaristes et de disciples se pressait à la madrasa, pour entendre le brillant prédicateur de Balkh et bénéficier de son érudition hors du commun. L’enthousiasme et la dynamique, qui animaient les cours et sermons de Sultan ol-Olamâ, les rendaient différents des autres, passionnaient les séminaristes et les jeunes théologiens. Implacable, le Sultan des Savants dardait des flèches acerbes de sa rhétorique les hypocrites, sans tenir compte, le moins du monde, de leur rang ou de leur poste. Le Sultan des Savants ne craignait même pas le courroux du Sultan Mohammad Khârazmshah. Il critiquait, ouvertement, sa conduite, sa tyrannie et son despotisme. Ce qui lui avait valu de nombreux ennemis, qui lui avaient rendu la vie difficile.

Bahâ al-Din Walad était, constamment, harcelé, menacé ; ces ennemis allaient si loin dans leurs exactions,  que  le vaste royaume de Mohammad Khârezm Shah l’étouffait de toute part. L’étau se resserrait, chaque jour davantage, autour de lui et de sa famille. Seule, la présence à ses côtés du jeune Jalâl al-Din, qui l’accompagnait partout, pouvait le consoler. Le Sultan, au travers des cours du prédicateur de Balkh et de la foule qui s’y relayait, voyait sans cesse une menace à la sécurité de son royaume. Or, l’horizon du vaste territoire de Khârezm s’empourprait plutôt à Boukhara, à Samarkand, et « au-delà du fleuve », en Transoxiane,  dans le fertile delta de Syr-Daria, que les Anciens grecs appelaient Laxarte. Et, maintenant, la suite de l’histoire…
Lorsque le Sultan de Khârezm, ‘Alâ al-Din Takesh, décéda, son fils Mohammad monta sur le trône, un fils, qui, à l’image de son père, était aussi ambitieux que cruel. Rien ne semblait parvenir à l’arrêter, dans ses visées expansionnistes, qui allaient bien loin au-delà du royaume hérité du père. Interminables, les guerres s’enchaînaient. Le Sultan étouffait dans l’œuf la moindre rébellion. Sur le vaste territoire de Khârezm, on ne parlait que de guerre et de conflit : la guerre contre le Sultan de Khatâ, contre le Calife de Bagdad, contre Kachgar, contre les Turcs, … Les trônes tombaient les uns après les autres, sur le passage de l’armée du Sultan. Au fil du temps, les frontières de Khârezm s’élargissaient ; elles étaient, maintenant, si reculées que le Sultan restait incapable de gérer son immense territoire.
Les folles expéditions du Sultan laissaient, dans leur sillage,  mort et désolation. Les ruines s’amoncelaient là où passait son armée immense, composée, majoritairement, des guerriers, d’origine turque, ghongholi, qui étaient, corps et âme, fidèles à Tarkan Khatoun, la mère du Sultan Mohammad. Dans ce paysage empourpré, la population harassée, exsangue  des guerres interminables du Sultan de Khârezm, devait, à présent, craindre les affres d’une autre invasion, beaucoup plus sanglante que les autres. La silhouette d’un terrible guerrier se profilait à l’horizon des arides et sauvages steppes de Mongolie.

Depuis que le Sultan Mohammad Khârzem Shah avait renversé Gour Khan de Khatâ, et que les frontières de son royaume touchaient celles de Gengis Khan, le spectre du terrible Khan mongol hantait les rêves du Sultan de Khârezm, qui, malgré ses folles et audacieuses équipées, tremblait à l’idée de se voir un jour en face de ce terrible guerrier, dont les échos des expéditions avaient plongé toute la Transoxiane et le Khorasan dans la terreur.
Ce fut dans ces circonstances que Gengis Khan envoya une caravane de commerçants mongols à Khârezm, porteurs d’un message de sa part au Sultan. Le Gouverneur d’Atrar,  Ghâyer Khan, un proche de Tarkan Khâtoun, informa le Sultan de l’arrivée des commerçants mongols, lui insinuant que ces gens n’étaient que des espions. Furieux, le Sultan ordonna de massacrer les 400 commerçants mongols et confisqua leurs biens. Cet acte irréfléchi et précipité lui valut la colère de Gengis Khan ; l’Iran et son peuple, déjà, opprimé, sous les bottes des guerriers du Sultan de Khârezm,   furent, cette fois-ci, exposés aux flammes incendiaires du Khan Mongol.
Sultan Mohammad Khârezm Shah et son armée, quoique immense, ne parvinrent à résister, même, un seul instant, devant Gengis Khan et ses guerriers. Il préféra s’enfuir lâchement. Samarkand et Boukhara furent rasés. Ce fut, ensuite, au tour de Gorgan, de Balkh et de Neishabur d’être saccagés. Les cadavres s’amoncelaient dans le sillage du Khan Mongol.
Présageant l’arrivée de ce fléau, Bahâ al-Din Walad se vit contraint de s’exiler de la ville de ses ancêtres et de quitter, avec toute sa famille, son jeune Jalâl al-Din, qui avait, maintenant, 13 ans, ses proches et  ses disciples, Balkh.

A suivre...

 

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