Oct 09, 2021 04:46 UTC

Il y a 800 ans, un poète issu de l’Iran s’est fait le chantre de l’amour mystique et appelé le monde entier à l’amour, à la clémence. Figure de proue de la poésie persane et de la gnose islamique, Jalâl al-Din Mohammad Balkhi, connu aussi sous les noms de Molana Rûmî et de Molawi ou le Maître, a relaté à travers son œuvre monumentale, le récit de l’amour, le récit des effervescences des états mystiques.

Chez lui, l’imagination poétique est devenue cet espace universel où l’âme s’élance des tréfonds d’ici-bas vers l’infini de la voûte céleste.

Poète des contes, Molawi a eu lui-même une vie dont nombre de ses épisodes semblent être tirés d'un conte. Il est pourtant bien difficile, dans un temps et un espace si limités de parler de l’océan infini que représente Molawi et son œuvre, de ce grand mystique dont le grandiose mouvement historique pèse de tout son poids dans la culture et la littérature persanes, un sentier qui mène à l’auto -édification et à la connaissance de Dieu.

Or, le plus grand conte que Mowlana ait signé, est sa vie même, une histoire merveilleuse mais vraie. Nous remontons les dédales de l’histoire : C’est l’an 1207. Nous sommes à Balkh, au grand Khorasan, à l’est de l’Iran. Baha al-Din Walad, le père de Molânâ Rûmî quitte la madrasa.

Altier, Sultan ol-‘Olâmâ, le Sultan des Savants, descendait du haut de la chaire. La foule des oulémas, de jeunes séminaristes et des disciples se serrait, barrant la route au maître, qui, impatient de retrouver la plénitude sereine de la maison, n’entendait plus le grand brouhaha qui l’entourait. Avides de puiser à la source même du savoir, les disciples ne se lassaient pas de l’interroger sur leurs nombreuses questions, un tel lui demandant son avis sur une telle question, un autre lui sollicitant une requête tandis qu’un autre voulait seulement entendre la voix du maître. Mais, Baha al-Din Walad Sultan ol-‘Olâmâ ne demandait qu’une seule chose : fuir les tapages du quotidien et retrouver le plus tôt possible l’ambiance calme de la maison, prier le Tout Puissant et se reposer en écoutant la voix du petit Jalâl al-Din, son fils bien aimé, chez qui il devinait la concrétisation de tous ses espoirs. Il vouait à Jalâl al-Din et à sa mère, Bibi Alaoui, issue d’une famille d’oulémas de Sarakhs, un respect tout particulier, quoiqu’il ait de son autre épouse un fils et quelques filles. Jalâl al-Din lui était aussi cher que la pupille des yeux, l’appelant le seigneur de la maison.

Le Sultan des Savants parvint enfin, au prix de grands efforts, à se frayer un chemin parmi la foule des fervents, quitta la madrasa et prit à grand pas le chemin de chez lui. Il avait hâte à retrouver le climat paisible de la maison. Il faisait quelque temps que tout lui semblait insupportable, il ne pouvait tolérer que le sanctuaire de la maison, ce lieu de paix et de félicité, qui permettait au vieux itinérant de s’enfermer dans son âme, de ne solliciter que le Seigneur des cieux et de la Terre. Sultan ol-‘Olmâ se sentait chaque jour, un peu plus détaché du monde ici-bas et de ses contingences. Seule l’Au-delà avait des attraits à ses yeux. Cette conduite imbibée du spirituel ne manquait pas d’imprégner dans les profondeurs de son soi, le petit Jalâl al-Din de cinq ans, qui, baignant dans l’ambiance de la via illuminativa, vivait au rythme de l’expérimentation trans-subjective de la présence universelle de Dieu. Il respirait dans l’air de la spiritualité et sa grande imagination faisait le reste.

Il se mouvait dans la via contemplativa, cette voie où tout converge vers Dieu unique. Les prières et invocations de la famille, surtout du père, les rituels des cérémonies et des fêtes religieuses, comblaient son petit cœur qui palpitait dans la poitrine dans le désir ardent de voir la Maison de Dieu. Soucieux de donner à son fils bien-aimé, les meilleures éducations, Sultan ol-‘Olamâ avait choisi un érudit, un sage parmi les sages, Seyyed Borhan Tarmazi. Le maître enseignait à son jeune disciple les premières leçons de théosophie, de philosophie, de scolastique, bref tout ce qu’il savait.

Hors de la maison, la plus grande partie du temps de Sultan ol-‘Olamâ se passait aux débats avec les oulémas de la cour. Enseignant et prédicateur, il formait des disciples, voyageait dans différentes villes du Khorasan, de la Transoxiane et du Turkestan. L’enthousiasme et la dynamique qui animaient ses cours et sermons, les rendaient différents des autres, passionnaient les séminaristes et les jeunes théologiens qui s’y rendaient par foule pour bénéficier de son érudition hors du commun. Implacable, le Sultan des Savants dardait des flèches acerbes de sa rhétorique les hypocrites sans tenir compte la moindre du monde de leur rang ou de leur poste. Ce qui lui avait valu de nombreux ennemis, là où il se rendait. Seule la présence à ses côtés du jeune Jalâl al-Din, qui l’accompagnait partout, pouvait le consolait.

Rien ne passait inaperçu des yeux perspicaces du jeune enfant. La madrasa, la rue, le bazar, la société, la population, les gens qui circulaient dans la rue, tout et tous retenaient son attention ; la grande mémoire de Jalâl al-Din enregistrait tout, n’omettait aucun détail, ne négligeait rien. Mêmes les jeux avec les autres enfants de son âge, avec ses condisciples, lui servaient de thèmes de méditation, lui permettaient d’y dégager des métaphores et des symboles. Les longs voyages en compagnie du père étaient un autre chantier pour enrichir son bagage du savoir et d’expérience. Il expérimentait in visu et in situ la vie dans toutes ses dimensions, avec tous ses aléas. A l’extérieur, c’était le quotidien des hommes et des femmes, leur joie et leur amertume, leur espoir et leur déception qui lui servaient d’enseignant, le formaient au creuset des épreuves. Et à la maison, il trouvait dans la vertu du père, dans sa mode de vie, et dans la pureté de l’ambiance familiale le meilleur des maîtres.

Sultan ol-‘Olma avait enseigné, aussi bien dans le verbe que dans l’acte, à son jeune enfant, de voir à travers toute chose, Dieu ; lui avait montré que la prière le conduirait au seuil de la cour divine, lui permettrait de rencontrer le Bien-Aimé. Ce fut dans un tel décor, dans une telle ambiance, entouré d’un père aussi sage que pieux et d’une mère vertueuse, que le jeune Jalâl al-Din grandit et s’initia à la voie tracée par les itinérants.

A suivre…

 

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