Molavi, l’Itinérant de la via illuminativa(5)
Nous avons raconté que, fuyant l’invasion mongole, la famille de Molana, accompagnée par 300 des disciples de Bahâ Walad son père, a quitté sa ville natale Balkh et a décidé d’accomplir le pèlerinage de la Maison de Dieu, la Kaaba à la Mecque. A ce moment-là Jalal al-Din était un enfant de 13 ans. La caravane arriva à Neishabour, une des plus importantes villes du grand Khorasan où le jeune Jalal al-Din rencontra le grand poète mystique Farid al-Din Attar,
celui qui a signé La conférence des oiseaux. Ce fut une rencontre dont le souvenir imprégna à jamais Molana.
Le jeune Jalal al-Din Mohammad suivait les débats des deux érudits, Attar et son père. Son regard brillant et son air pensif avaient retenue l’intérêt d’Attar qui avait perçu chez lui les traits saillants d’un génie hors de pair. Le vieux sage pressentait une destinée extraordinaire pour cet enfant déjà marqué par la spiritualité. Il en parla au père. « Ton fils, dit le cheikh Attar, embrasera les consumés de l’Univers, il bouleversera les adeptes de la voie initiatique. » Le cheikh offrit ensuite une copie du manuscrit d’Asrar Nameh à Jalal al-Din Mohammad. La caravane quitta Neishabour emportant avec le futur grand poète mystique persan. Et maintenant la suite de ce récit…
La caravane avançait lentement dans le désert. La route se prélassait, interminable, sous le soleil ardent. L’horizon reculait à chaque pas et semblait se perdre dans ce lointain infini. L’âme passionnée du jeune Jalal al-Din se perdait à son tour dans ce paysage fabuleux, laissait entraîner son imagination débordante dans cette immensité infinie. Les conversations avec le père alimentaient cette âme sublime. Bahâ Walad apprenait à son enfant bien aimé tout ce qu’il savait. Mais ce n’était pas tout. Les compagnons de route du jeune Jalal al-Din étaient aussi une autre source de connaissance. Il ne se lassait pas d’entendre les récits d’aventure, les chants amoureux, les idées et les croyances des autres, leurs traditions, leurs us et coutumes.
A présent, la caravane des immigrés arrivait aux portes de Bagdad. Cette ville fabuleuse qui aux yeux du jeune Jalal al-Din Mohammad paraissait un lieu sûr. Le calife abbasside de l’époque Al-Nasser al-Din, qui était dans les quarantaines, régnait avec faste sur Bagdad, mais un Bagdad qui avait perdu sa figure légendaire de naguère, l’ère fabuleuse des mille et une nuits était bel et bien révolue. La capitale abbasside semblait pourtant calme et regorgeait toujours de richesses fabuleuses. Les palais, les mosquées, les madrasas, les khânqah ou les couvents des derviches se dressaient partout dans la ville qui jouissait de sécurité et de l’ordre.
Mais les caravanes qui débarquaient à Bagdad perturbaient ce calme en traînant dans leur sillage la terreur de l’invasion mongole. La ville était bondée d’immigrés qui avaient fui le Khorasan et de pèlerins qui, de retour des cérémonies du Haj, ne pouvaient plus regagner leur patrie. Il n’y avait plus de place à Bagdad, une foule immense peuplait toute la ville de sorte que les compagnons de Bahâ Walad n’avaient d’autre choix que de s’installer dans les caravansérails.
C’était à Bagdad que vivait le grand Sohrawardi, le père de la philosophie illuminative, l’auteur du Bruissement de l’aile de l’archange Gabriel. Dès qu’il sut l’arrivée de Bahâ Walad et de sa famille à Bagdad, Sohrawardi les accueillit chaleureusement et lui proposa de l’installer dans un couvent des derviches. Or, fidèle à la tradition des oulémas qui ne voyaient pas un couvent des derviches à leur hauteur, Bahâ Walad refusa la proposition de Sohrawardi et préféra de s’installer dans une madrasa.
La vie à madrasa concrétisait un des plus grands souhaits du jeune Jalal al-Din. Il pouvait à présent apprendre et apprendre. Son âme assoiffée du savoir et de connaissance pouvait maintenant s’abreuver à la source des sciences et comprendre pourquoi son père aimait tant cette ambiance érudite.
Nous devons laisser encore une fois seul le jeune Jalal al-Din Mohammad dans sa madrasa au milieu des séminaristes et des oulémas et interrompre, bien sûr momentanément, ce récit merveilleux pour la reprendre dans une prochaine édition.