Molavi, l'itinérant de la via illuminativa (4)
Nous avons raconté que depuis que le Sultan Mohammad Khârzem Shah avait renversé Gour Khan de Khatâ, et que les frontières de son royaume touchaient celles de Gengis Khan, le spectre du terrible Khan mongol hantait les rêves du Sultan de Khârezm, qui, malgré ses folles et audacieuses équipées, tremblait à l’idée de se voir un jour en face de ce terrible guerrier, dont les échos des expéditions avaient plongé toute la Transoxiane et le Khorasan dans la terreur.
Ce fut dans ces circonstances que Gengis Khan envoya une caravane de commerçants mongols à Khârezm, porteurs d’un message de sa part au Sultan. Le Gouverneur d’Atrar, Ghâyer Khan, un proche de Tarkan Khâtoun, informa le Sultan de l’arrivée des commerçants mongols, lui insinuant que ces gens n’étaient que des espions. Furieux, le Sultan ordonna de massacrer les 400 commerçants mongols et confisqua leurs biens. Cet acte irréfléchi et précipité lui valut la colère de Gengis Khan ; l’Iran et son peuple, déjà, opprimé, sous les bottes des guerriers du Sultan de Khârezm, furent, cette fois-ci, exposés aux flammes incendiaires du Khan Mongol.
Sultan Mohammad Khârezm Shah et son armée, quoique immense, ne parvinrent à résister, même, un seul instant, devant Gengis Khan et ses guerriers. Il préféra s’enfuir lâchement. Samarkand et Boukhara furent rasés. Ce fut, ensuite, au tour de Gorgan, de Balkh et de Neishabur d’être saccagés. Les cadavres s’amoncelaient dans le sillage du Khan Mongol. C’est dans ces circonstances que nous avons laissé le Sultan ol-‘Olamâ et sa famille sur la route de la Mecque. En fait, présageant l’arrivée de ce fléau, qu’était Gengis Khan et son immense armée, Bahâ al-Din Walad décida de s’exiler de Balkh, de la ville de ses ancêtres et de quitter, avec toute sa famille, son jeune Jalâl al-Din, qui avait, maintenant, 13 ans, ses proches et ses 300 disciples, sa ville natale, pour accomplir le Haj et le pèlerinage de la Maison de Dieu, la Kaaba. Et maintenant la suite de l’histoire.
La caravane de la famille de Bahâ al-Din Walad dépassa le portail de Balkh. Jalal al-Din s’arrêta un instant, regarda derrière lui. Il était encore trop jeune pour comprendre la raison de ce voyage. Or, un sixième sens présageait que c’était la dernière fois qu’il regardait la ville de ses ancêtres ; son cœur se serra dans la poitrine. Il ignorait où le conduisait le destin ? La seule chose qui le consolait, était l’affection infinie du père et la confiance qu’il sentait envers lui et sa grande sagesse. Le père et ses paroles étaient un baume à son cœur affligé. D’autant que son cher et érudit maître, Seyyed Borhan al-Din Tarmazi, qui s’était rendu en Transoxiane, n’avait pas pu accompagner la famille de Bahâ al-Din Walad dans ce voyage et le petit Jalal al-Din n’avait désormais d’autre maître que son père et les ouvrages des Grands Classiques.
Le spectre de l’assaut mongol planait son ombre terrible sur la caravane qui était, maintenant arrivée à Neishabour, aux confins occidentaux du grand Khorasan. Bahâ al-Din Walad y avait de nombreux amis et connaissances. Il était impossible à traverser rapidement la ville. Foyer du savoir et de littérature de l’époque, Neishabour avait formé dans son giron tout un myriade de savants et de penseurs érudits.
Le jeune Jalal al-Din respirait avec joie l’air imbue de spiritualisme de la ville de turquoise ; il sentait encore la présence de Cheikh Abou Saïd Abel Kheyr et ses cours où se pressait la foule de ses disciples, du grand théosophe Abou Hamed Ghazali, de l’émient mathématicien et astrologue Omar Khayyâm le sage, et … Neishabour et ses quartiers pittoresques, ses rues bondées, ses mosquées aux dômes aux céramiques en turquoise qui figeaient dans leur vernis, un peu du ciel, ses madrasa imbibées du spirituel et ses bazars auréolés du parfum piquant des épices, étaient pour le jeune Jalal al-Din les pages de l’histoire qu’il feuilletait à mesure qu’il avançait dans les rues de la ville.
Le dernier souvenir qui imprégna à jamais son mémoire, fut la rencontre avec le vieux sage de Neishabour, Cheikh Farid al-Din Attar, le grand poète mystique du Khorasan, celui qui avait signé La conférence des oiseaux, le masnavi Asrar nameh (Le livre des secrets), pour ne mentionner que quelques titres de l’œuvre monumentale du Cheikh. Jalal al-Din Mohammad était présent aux entretiens de Bahâ al-Din Walad et d’Attar. Les deux vieux sages ne se lassaient pas de se perdre dans les méandres de la voie initiatique, d’évoquer le récit des itinérants, de parler des Amis de Dieu, de discuter des grands thèmes de la gnose et de la philosophie.
Le jeune Jalal al-Din Mohammad suivait les débats des deux érudits. Son regard brillant et son air pensive avaient retenue l’intérêt d’Attar qui avait perçu chez lui les traits saillants d’une génie hors de pair. Le vieux sage pressentait une destinée extraordinaire pour cet enfant déjà marqué par la spiritualité. Il en parla au père. « Ton fils, dit le cheikh Attar, embrasera les consumés de l’Univers, il bouleversera les adeptes de la voie initiatique. » Le cheikh offrit ensuite une copie du manuscrit d’Asrar Nameh à Jalal al-Din Mohammad. C’était une manne céleste pour l’enfant, tout comme Le livre du divin du cheikh Sanâi que lui avait offert son maître Seyyed Borhan Tarmazi. C’était la quintessence du savoir et de la philosophie des itinérants.
Pour le jeune Jalal al-Din, le beau livre du Cheikh de Neishabour rythmait le long trajet, qui menait la caravane du Khorasan vers Bagdad.
Nous devons quitter pour le moment la caravane de Balkh, sur la route de Bagdad, laisser seul le jeune Jalal al-Din dans l’univers merveilleux de l’auteur de la Conférence des oiseaux et interrompre, bien sûr momentanément, ce récit merveilleux pour la reprendre dans une prochaine édition.