Jul 12, 2021 06:25 UTC

Le parfum de l’Oxus s’exhale Le souvenir de l’Ami tendre se ravive Les galets de l’Oxus et ses obstacles me semblent sous les pieds de la soie O Boukhara sois heureux et comblé de joie que l’Emir est ton hôte au ciel la lune rentre

« Depuis que le monde a surgi des ténèbres, personne encore, sur Terre, n’a regretté d’avoir consacré sa vie à l’étude », écrivait, il y a 1150, un poète issu du berceau de la civilisation, de la Terre d’Iran, le sultan des poètes. Il s’agit d’Abu Abdullah  Rudaki. L’année 2008 portera son nom ; c’est l’UNESCO qui en a décidé ainsi, donnant suite à la demande de la RII, l’Afghanistan, le Tadjikistan et le Kazakhstan de célébrer son 1150e anniversaire. Dans les précédentes éditions du magazine littéraire consacré à Rudaki, à celui qui est considéré à juste titre le père de la poésie persane, nous avons commencé notre récit fabuleux sur les rives de l’Oxus, de ce fleuve légendaire de la Transoxiane, qui  sert de décor à notre histoire, ce fleuve qui naît dans les montagnes du Pamir, traverse  l’Hindo-Kusch puis le désert du Karakoum, avant de former un delta qui se jette dans la mer d’Aral.

Et nous avons aussi dit que Depuis la nuit des temps, foisonnaient, partout sur le vaste plateau iranien, des foyers de l’art et de la littérature, et surtout de la poésie puisant largement dans la culture et  la civilisation d’un peuple dont l’âme s’abreuvait à la source de la poésie. La resplendissante Transoxiane est un des ces foyers, qui ont vu naître sur leur terre des figures érudites des Lettres et de la Science,  apportant leur part dans l’édification de ce prestigieux monument qu’on appelle la culture persane. Nous vous avons brossé un tableau très sommaire de la vie de Rudaki, qui a vu le jour en 858 dans les environs de Pendjakent, à 200 km au nord de Douchanbé, la capitale du Tadjikistan. Dès l’âge de huit ans, il récitait par cœur le Coran. Plus tard, sa renommée de fin poète et de brillant musicien et chanteur étant parvenue à Boukhara (aujourd’hui en Ouzbékistan), le troisième émir de la dynastie  samanide, une famille  mécènes, Amir Nasr l’invita à sa cour en qualité de poète officiel. Il y passa une grande partie de sa vie au service de la dynastie des Samanides (875-999). Après avoir servi plus de 40 ans à la cour samanide, le poète est tombé en disgrâce, vers la fin de sa vie. Et comme on sait qu’il est mort aveugle, d’aucuns pensent qu’on lui aurait crevé les yeux avant de le bannir de la cour. Il a passé le reste de ses jours dans le dénuement. Il est mort en 941 à Pandjroud, son village natal. Il est temps maintenant de présenter les œuvres du « Sultan des poètes ».

D’après les dires de Rashidi de Samarkand, poète persanophone du XIIe siècle, Rudaki aurait composé un million trois mille vers, un chiffre qui s’avère apparemment excessif mais de la part d’un poète aussi compétente et talentueux que Rudaki, qui a mis en vers le Kelila va Dimna, cela ne paraît pourtant pas chose inaccessible ou impossible. Nombreux étaient poètes et hommes de lettres persanophones encore proches de l’époque de Rudaki, tels que Ferdowsi au Xe siècle, Beiyhaqi au XIe siècle, Khâqânî au XIIe siècle ont cité dans leurs écrits le nom de Rudaki et confirmé sa grande renommée. Mais au fil des siècles, le nombre des poèmes de Rudaki se réduisit pour n’en rester de nos jours que moins de 20 mille.

Chercheurs et historiens parlent de nombreux facteurs qui en seraient responsables, d’autant plus que le Khorasan et la Transoxiane ont vécu,  dès le XIIe siècle, autrement dit trois siècles après Rudaki, au rythme des fléaux et des invasions les plus terribles, engloutissant dans leur sillage le patrimoine culturel, scientifique et littéraire persan. Les œuvres de Rudaki n’en furent pas épargnées, et nombreux furent ces poèmes qui disparurent dans le tourbillon des événements.

L’invasion Qoz en été de l’an 548 de l’hégire lunaire (1169) lancée contre le grand Khorasan, avec en toile de fond la défaite du Sultan Sanjar Ghaznavide, qui a dû se rendre à l’ennemi, entraîna à sa suite  massacre,  pillage et ruine. Un grand nombre de figures saillantes des sciences et de la littérature y furent décimées et d’immenses bibliothèques furent pillées ou  brûlées et leurs livres furent donnés en pâture aux chevaux et aux bêtes de somme des assaillants.

Les plaies béantes sur le corps du Khorasan et de la Transoxiane étaient à peine cicatrisées qu’ils furent engloutis dans la vague destructrice des mongols, qui, débordant ces régions, se déferla jusqu’à Bagdad, des grandes bibliothèques de Merv n’en resta qu’un monceau de cendres. Il est donc très facile de comprendre  le sort qui fut réservé aux œuvres de Rudaki, dans le sillage de ce fléau.

Pourtant, il  reste encore des œuvres de Rudaki, très peu mais assez pour nous donner un aperçu de ce que fut le talent et la vaste culture de celui qu’on appelle le père de la poésie persane. Ses masnavis jouissaient à leur époque d’une grande réputation, quoiqu’il n’en reste que 200 vers. Les chercheurs sont unanimes à considérer le Kelila va Dimna que Rudaki avait mis en vers comme son œuvre majeure, bien qu’on n’en dispose que des vers disparates, cités par des autres. D’après ce que Ferdowsi évoque dans son Shâh-Nâme, les œuvres de Rudaki, notamment son Kelila va Dimna étaient très célèbres à leur époque. Le prestigieux Kelila va Dimna est un recueil de fables et de légendes en sanskrit relatés de la bouche des animaux. Ce fut Borzouiyé, un médecin de l’époque sassanide qui, de retour de l’Inde, l’avait dans ses bagages. Il le traduit en pehlevi et après lui Abdallah Ibn Moqafa’ le traduit en arabe. Nasr Ibn Ahmad Samanide ordonna à son vizir érudit Abol Fazl Bal’ami de traduire ce livre en persan et ce fut toujours à l’ordre de cet émir samanide que Rudaki le mit en vers. Et nous, nous n’en avons hérité que seuls 115 vers, les autres disparus dans le tourbillon des événements. Le livre s’ouvre sur ces vers :

Quiconque ne prit leçon du temps qui passe

ne pourra profiter d’aucun enseignant

tant que le monde est peuplé d’hommes

personne ne pourra vivre sans le secret de la science

le savoir dans le cœur est une lampe allumée

une armure sur ton corps, te protégeant du mal

Outre le Kelila va Dimna, les chercheurs parlent de six autres masnavis signés Rudaki dont il ne reste de chacun quelques vers. L’orientaliste allemand, Powell Hern cite dans sa préface au dictionnaire Assadi, des thèmes d’une partie des vers de Rudaki, qui concerne l’histoire de Sindbad ou Le livre de Sindbad, qui est, comme le Kelila va Dimna, tiré du répertoire des contes indiens, et il est arrivé à l’époque sassanide avec d’autres histoires, en Iran, et traduit en pehlevi. Le livre de Sindbad a ensuite été traduit de pehlevi en arabe, mais en syriaque et en grec. Plus tard on l’a traduit en persan, dont la plus ancienne est de Rudaki qui l’a aussi mis en vers. 

 

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